Dans l’artisanat, la nature et le biomimétisme font campagne

Mars 2025, N°5
©Atelier Sumbiosis
©Atelier Sumbiosis

A l’heure du printemps, la nature tout entière se fait artisan pour flatter nos sens et force est de constater que son ouvrage est des plus virtuoses. Les matières et couleurs s’épanouissent et le vivant se réveille, révélant une richesse infinie et s’accordant sur un cycle récurrent chaque année, qui jamais ne s’épuise. Et pourtant, peu nombreux sont les avertis qui voient dans la nature la directrice de création la plus inventive de tous les temps. Ceux-là, génies du biomimétisme et protagonistes du biodesign, sont assurément les précurseurs d’un artisanat vertueux et durable, le seul d’ailleurs réellement pérenne puisque ses ressources et techniques sont infiniment renouvelables. Mettez-vous au vert et découvrez la fine fleur de l’artisanat du futur !

@Atelier Sumbiosis

/ Coloration de tissu par extraction pigmentaire des squelettes d’oursin, Atelier Sumbiosis.

GRASSE RECONQUIERT LES BONNES GRÂCES DU LUXE

En janvier, le leader mondial de la parfumerie, Givaudan, a annoncé investir une friche industrielle de Grasse pour y installer son projet « House of Naturals », épicentre d’innovations aromatiques durables. Cette actualité fait écho au récent retour à Grasse des Maisons de luxe et à leur rôle crucial dans la valorisation de cet écosystème d’exception. Grande cité tanneuse transformée en parfumerie à ciel ouvert pour pallier les mauvaises odeurs du traitement du cuir, Grasse a enduré les difficultés de la concurrence internationale jusqu’à voir son activité être mise en péril. C’est alors qu’est intervenu le luxe. Chanel, en premier, renoue en 1987 avec le berceau de N°5 en initiant un partenariat avec un grand producteur local de fleurs, la famille Mul. En 2008, Dior, à son tour, se rapatrie non loin du Château de la Colle Noire, cher à Christian Dior, pour collaborer avec le Domaine de Manon qui fournira la matière première de ses parfums phares. Et c’est enfin Louis Vuitton puis Lancôme qui ont inauguré respectivement les Fontaines Parfumées et le Domaine de la Rose, conscients qu’un rôle était à jouer à Grasse. Cette confiance renouvelée du luxe pour le savoir-faire grassois et son soutien à la viabilité de la filière locale et de son écosystème jaillit d’une responsabilisation des marques qui recourent à leurs moyens pour préserver un terroir d’exception. Dans un dialogue réciproquement enrichissant, producteurs locaux et Maisons construisent des liens forts pour justifier de l’expertise unique et territorialisée du luxe et de son engagement dans la durabilité.

©Les Fleurs d'Exception du Pays de Grasse
©Bertrand Payan
©Les Fleurs d'Exception du Pays de Grasse

LE VER À SOIE TISSE SA TOILE CHEZ SÉRICYNE

Clara Hardy s’intéresse au secteur de la soie qu’elle explore au cours de nombreux voyages. Prenant conscience de l’amplitude de cette filière de la soie et des procédés de transformation à répétition, elle se met à étudier des alternatives plus courtes et durables. Elle découvre alors le ver à soie et fonde Séricyne qu’elle consacre à sa culture. L’entreprise met au point la première soie en feuille naturelle non tissée, une innovation brevetée qui ne cesse, depuis, de s’enrichir de l’expertise de partenaires spécialisés dans son traitement et son ennoblissement. Le procédé, unique, consiste à faire produire la soie par le ver directement sur les formes voulues, en 2D ou 3D, laissant donc à la nature une place de choix dans chaque projet. Séricyne fait le choix d’intégrer dans son ensemble l’élevage du ver à soie et détient aujourd’hui la première filière séricicole française qu’elle valorise dans les Cévennes. Forte de cet écosystème unique, elle propose aujourd’hui une grande variété d’application de cette soie naturelle, du produit cosmétique à la décoration en passant par le packaging. Et si la matière séduit pour son argument de durabilité, c’est aussi son toucher velouté et feutré qui intéresse les marques et la distingue des matériaux plus classiques du packaging. Récemment, Chanel N°5 a revêtu la soie Séricyne révélant une édition limitée aux accents haute couture, précieuse et élégante. Le ver à soie sur les pas de Coco Chanel !

©Ecal + Foscarini

ATELIER SUMBIOSIS EXPLORE LA PALETTE DU VIVANT

©Atelier Sumbiosis

Diplômé de l’ESAD Orléans, Tony Jouaneau se perfectionne en design textile auprès de Tzuri Gueta. Cependant, se rendant compte de la nocivité des procédés  d’ennoblissement chimique, il choisit d’explorer des alternatives durables et se tourne alors vers le biodesign dans le cadre d’une formation à L’ENSCI-les Ateliers. Fasciné par la richesse de la nature, il fonde en 2018 l’Atelier Sumbiosis, soucieux d’améliorer les savoir-faire d’ennoblissement textile en libre collaboration avec le vivant, à l’image de sa teinture à la spiruline et ou de l’impression microbienne sur tissus. Plus récemment, son projet Slow Devored incarne précisément sa vision artistique en suppléant l’agressivité chimique du dévoré textile par un procédé naturel. Pour ce faire, Tony Jouaneau mobilise des insectes kératophages qu’il guide via une matrice pour leur faire dévorer des fibres textiles sur l’étoffe choisie et révéler un motif. 

D’autre part, sa résidence à la Villa Kujoyama est l’occasion d’approfondir son étude du vivant avec le projet ECHIRO en partenariat avec le Laboratoire de Chimie de Sorbonne Université. Ensemble, ils y mènent des recherches sur l’extraction pigmentaire d’oursins, dont le Japon est le premier pays consommateur, et l’application de ce colorant naturel sur textile. Ce projet et les précédents témoignent de l’intérêt d’ouvrir l’artisanat à la science et de réconcilier inventivité humaine et nature afin d’assurer la durabilité de la création et son progrès constant. Une démarche justement récompensée en septembre dernier par le Grand Prix de la Création de la Ville de Paris.

©Atelier Sumbiosis

DU FLAIR ET DE LA COHÉSION : LA TRAME DE L'ODYSSÉE GRASSOISE

Le récit inédit de la filière des plantes à parfum grassoises, après interview d’Armelle Janody, Présidente de l’association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse.

Début XXe, avec l’extraction à l’hexane, Grasse et ses 5000 producteurs de plantes connaissent leur âge d’or du parfum et rayonnent au-delà des frontières. Mais à partir de 1950, l’essor des matières synthétiques à faibles coûts menace la filière grassoise. Les clients industriels quittent la région et il devient plus rentable pour les agriculteurs de vendre leurs terrains étant donné la pression immobilière locale. Ainsi constate-t-on à la fin du siècle la quasi-disparition de la filière du parfum à Grasse. Néanmoins, quelques enfants de la nouvelle génération entreprennent de perpétuer les gestes ancestraux et de s’associer pour construire une force collective. Ce sont les débuts de l’association des Fleurs d’Exception du Pays de Grasse. Après des années de travail pour faire reconnaître leur savoir-faire et la préciosité de leurs ressources, ils ouvrent de toute pièce une exploitation « bébé » en 2009 et font revenir les premiers clients. L’association convainc de l’exception de la filière de Grasse ; pour emprunter ses mots, la fleur, à l’image de la vigne, est l’expression d’un terroir particulier et chaque versant, du fait de son microclimat, arbore une plante au caractère différent. Le mimosa en bord de mer, le jasmin à 300 m d’altitude, le narcisse dans les hauteurs et bien d’autres. La culture de la fleur à parfum nécessite donc une connaissance aigüe de l’environnement et c’est à cette expertise que les marques de luxe se remettent en préférant collaborer avec des producteurs locaux plutôt que de lancer leurs propres cultures. Aujourd’hui protégée par une appellation géographique et une intégration au patrimoine immatériel de l’UNESCO, la filière ne cesse de gagner en influence. Porté par 43 agriculteurs sur 24 exploitations dont 16 ont été complétement crées ex nihilo, et un centre de recherche et développement propre, le savoir-faire grassois voit à nouveau la vie en rose !

@Engram Média

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